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L'Indo-Pacifique est le nouveau centre de gravité mondial

Indo-Pacific Hub
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Depuis des décennies, l'axe du pouvoir mondial est stratégiquement situé entre les nations atlantiques, ancré par les géants économiques d'Amérique du Nord et d'Europe. Récemment, cependant, la carte a basculé, et de plus en plus, l'avenir s'écrit non plus à Washington ou à Londres, mais de l'autre côté du Pacifique, à Manille, Pékin, Jakarta, Tokyo et New Delhi. L'Indo-Pacifique ne fait pas que s'élever ; il devient le centre de gravité mondial.


À première vue, ce changement peut paraître naturel : après tout, la région Indo-Pacifique abrite plus de 60 % de la population mondiale et 60 % du PIB mondial. Mais ce n’est pas seulement une question de chiffres. C’est une question de dynamique. Innovation technologique, ambition économique et renforcement militaire convergent. Neuf des dix ports les plus actifs du monde y sont implantés. L’énergie qui provenait autrefois de Wall Street et de la City de Londres se déverse de plus en plus dans les quartiers financiers de Singapour et l’économie numérique de Shanghai.


Mais ce n'est pas seulement une histoire de croissance. C'est une histoire de tension croissante.


L'Indo-Pacifique est une région où la paix est fragile. Les conflits de souveraineté et de ressources continuent de s'intensifier. Taïwan demeure un enjeu géopolitique majeur, la Chine et les États-Unis cherchant à asseoir leur domination stratégique. La Corée du Nord apparaît comme un fantôme, imprévisible et dotée de l'arme nucléaire. La Chine revendique la souveraineté sur les îles Spratly, riches en pétrole. De l'autre côté de l'océan Indien, des conflits maritimes latents remettent en cause les cadres diplomatiques traditionnels.


Les vastes revendications maritimes de la Chine, enrobées de récits historiques tels que la « Ligne en neuf traits », ne sont pas de simples revendications de contrôle, elles sont totalement illégales. Selon une décision de 2016 de la Cour permanente d'arbitrage (CPA), la Chine ne dispose d'aucun fondement juridique en droit international, et plus particulièrement en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM). En réponse, les Philippines ont affirmé leur propre souveraineté, invoquant le droit international, tout en nouant des alliances diplomatiques.


Face à cette évolution du terrain, un réalignement des alliances est nécessaire. Les États-Unis ne se contentent plus de se tourner vers l'Asie ; ils s'intègrent pleinement à l'architecture même de la sécurité régionale. Des partenariats comme le Quad et l'AUKUS témoignent d'une nouvelle volonté stratégique de créer des réseaux de dissuasion fortement interconnectés face à l'affirmation croissante de la Chine. Cependant, une grande partie de la puissance de l'Indo-Pacifique ne réside pas dans ses alliances ou son économie, mais dans sa géographie. Cette région est constituée de goulots d'étranglement.


Premier article : Tensions croissantes, calcul silencieux


La mer de Chine méridionale est au cœur des tensions maritimes. La Chine continue d'étendre sa présence par la construction d'îles et des patrouilles stratégiques. Mais ces actions ne sont pas seulement territoriales : elles sont axées sur les performances et visent à affirmer sa force et sa légitimité. Les pays voisins comme les Philippines et le Vietnam réagissent de plus en plus fermement, tandis que Les États-Unis et leurs alliés multiplient les opérations de liberté de navigation (FONOP) et les exercices conjoints pour envoyer des avertissements discrets mais fermes aux adversaires agressifs. L'équilibre est fragile et les acteurs prudents, mais chaque action accentue la tension.


Acte II : L'ascension des puissances moyennes


Au-delà de la lutte des grandes puissances, des puissances moyennes émergent. Les Philippines, l'Inde, l'Australie, le Japon, l'Indonésie et la Corée du Sud tracent leurs propres voies, ne se contentant pas de réagir à la Chine ou aux États-Unis, mais façonnant activement l'avenir de leur région. Elles forment des coalitions, investissent dans des forums multilatéraux et recherchent des structures multipolaires réduisant la dépendance à un géant. Ces pays ne veulent pas la guerre, mais ils ne veulent pas non plus l'asservissement. Leur émergence est la meilleure chance pour la région de parvenir à un équilibre stable.


Acte III : Les goulots d'étranglement du pouvoir moderne


La géographie stratégique reste le pilier de l'histoire. Les détroits de Malacca, de la Sonde et de Luçon, ces étroites voies navigables, sont vitales pour le commerce mondial et l'énergie. Si l'une d'entre elles était perturbée, par accident ou intentionnellement, les conséquences seraient immédiates et mondiales : hausse du prix du carburant, paralysie des échanges commerciaux et risque d'escalade militaire.


Contrôler, voire menacer, ces points d'étranglement offre un levier considérable. Mais cela accroît également la vulnérabilité. Quiconque s'y fie est toujours à une crise près de la catastrophe.


Le détroit de Malacca : le point de pression maritime mondial


Le détroit de Malacca est le goulot d'étranglement maritime le plus critique de l'Indo-Pacifique, et sans doute du monde. Large de seulement 2,7 kilomètres à son point le plus étroit, ce passage linéaire entre la péninsule malaise et l'île indonésienne de Sumatra transporte environ 23 millions de barils de pétrole par jour, ce qui en fait le deuxième goulot d'étranglement pétrolier le plus fréquenté au monde après le détroit d'Ormuz. C'est également une voie vitale pour le GNL, le charbon et près d'un tiers du commerce mondial.


Il ne s'agit pas seulement d'une voie maritime ; c'est l'artère économique de l'Asie de l'Est. Si la piraterie, les attentats terroristes, les blocus navals, voire une catastrophe environnementale telle qu'un pétrolier échoué, perturbaient le détroit de Malacca, les conséquences seraient immédiates et mondiales. Qui se dispute le contrôle de cette zone et s'agit-il d'une démocratie disposée à coopérer avec d'autres pays ? La Chine, comme elle l'a fait avec d'autres pays dont la ZEE est établie, planifie le contrôle du détroit pour les prochaines années. Les conséquences potentielles du contrôle par un seul État des principales routes maritimes mondiales seraient catastrophiques, non seulement pour les pays voisins, mais pour le monde entier.


Si la Chine exerçait une pression ou fermait de force le détroit de Malacca, les conséquences seraient rapides et dramatiques pour l'économie mondiale. Les marchés de l'énergie seraient parmi les premiers à en pâtir. Les prix du pétrole et du gaz naturel liquéfié (GNL) augmenteraient immédiatement, car les navires empruntant des routes alternatives comme Lombok ou le détroit de la Sonde seraient confrontés à des trajets plus longs et à des coûts accrus.


Au-delà de l'énergie, l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement sera mis à rude épreuve, affectant particulièrement les grandes économies asiatiques comme le Japon, la Corée du Sud et même la Chine, pays qui dépendent fortement du détroit de Malacca pour leurs matières premières et leurs exportations essentielles. Les Philippines, particulièrement vulnérables, importent plus de 85 % de leur brut auprès de producteurs du Conseil de coopération du Golfe (CCG), ce qui expose dangereusement leur économie.


Parallèlement, des répercussions économiques se feront sentir partout dans le monde, avec la hausse des primes d'assurance pour les routes maritimes et des tarifs de fret. Cette hausse des coûts ralentira inévitablement le commerce mondial, fera grimper les prix des biens de consommation et déstabilisera largement les marchés bien au-delà de la région immédiate.


En bref, la fermeture du détroit de Malacca constituerait un véritable choc économique mondial : rapide, intense et de grande ampleur. C'est pourquoi cette étroite étendue d'eau est souvent surnommée le « pivot de l'économie mondiale ».


Quatrième loi : Frontières numériques et climatiques


Les conflits modernes ne se limitent plus aux zones terrestres ou maritimes. Les infrastructures numériques, qu'il s'agisse de câbles sous-marins, de satellites ou de systèmes de cybersécurité, sont désormais aussi essentielles que le territoire physique. Les nations s'efforcent de sécuriser leurs flux de données, de se défendre contre le cybersabotage et de protéger leurs réseaux de communication. De nombreux câbles sous-marins relient déjà la Chine continentale aux zones littorales des Philippines.


Parallèlement, la crise climatique redessine discrètement la carte. La montée des eaux, les tempêtes et les changements climatiques transforment des pays fragiles comme Kiribati, les Maldives et certaines parties des Philippines en préoccupations sécuritaires. L'avenir exige adaptation, innovation, collaboration et coopération.


Acte cinq : Guerre narrative


Le champ de bataille le plus visible est peut-être celui de la guerre des théories et des significations. Des visions concurrentes de l'ordre – libéral-démocrate, autoritaire-capitaliste, nationaliste régional – se jouent à travers la diplomatie, les médias, l'éducation et le soft power. L'initiative « la Ceinture et la Route » dépeint une version de l'avenir. La stratégie indo-pacifique en dévoile une autre. Les populations régionales ne restent pas passives dans cette compétition ; elles façonnent le récit avec leurs propres histoires, ambitions et idées. Celui qui raconte l'histoire la plus convaincante peut acquérir plus d'influence que n'importe quelle flotte. Le monde numérique offre une opportunité incroyable de révéler le potentiel et les pièges de cette région cruciale. Nous devrions tous nous soucier de l'avenir de l'Indo-Pacifique, car il est l'avenir du monde globalisé moderne.


Acte six : Point de basculement ou paix fragile ?


Les prochaines années amèneront la région à la croisée des chemins. Taïwan sera-t-il l'étincelle qui allumera le feu ? Une nouvelle coalition régionale émergera-t-elle pour équilibrer les blocs de puissance ? Ou la région indo-pacifique sombrera-t-elle dans une paix froide tendue mais stable, définie par des sphères d'influence concurrentes, une concurrence par procuration et des barrières technologiques ? Les Philippines parviendront-elles à contenir la Chine, et les États-Unis apporteront-ils une force tranquille pour maintenir les ZEE maritimes du pays ouvertes aux affaires ? Les pêcheurs philippins continueront-ils à dépendre des canons à eau plutôt que du poisson dans leurs bateaux ?


Rien n'est prédéterminé. C'est là l'essentiel.


L'Indo-Pacifique est au cœur des affaires mondiales du XXIe siècle. Il est le théâtre des tensions entre identité culturelle et intérêts mondiaux, entre concurrence et coopération, et entre un passé obsédant et un avenir qui résonne. C'est ici que s'écrit l'avenir du monde, une décision, un détroit et une histoire à la fois.


~Anne Charman, vice-présidente des études de marché - Brightside Industries Group, LLC

 
 
 

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